samedi 28 novembre 2009

Que mesurent les SAE?

Depuis plus d’un demi-siècle, de nombreuses recherches, portant sur les différences de fonctionnement entre experts et novices en résolution de problèmes, ont montré que le transfert des stratégies de résolution de problèmes d’une situation problématique à une autre est loin d’être automatique. Ces recherches montrent que même les experts se comportent en novices dans certaines conditions.

Voici quelques exemples. Dans une recherche auprès de chimistes considérés comme des experts en résolution de problèmes (Voss, Green, Post et Penner, 1983) ceux-ci devaient résoudre un problème portant sur la faiblesse de la production agricole en Union Soviétique. Dans ce problème, ces experts avaient peu de connaissances relatives au contexte du problème posé et ils ont été incapables de se comporter en experts.

Lorsqu’un problème est posé à un individu, ses connaissances du domaine dans lequel se situe le problème lui permettent, et ce, avant de tenter de résoudre le problème, de disposer d’une organisation de ses connaissances. Cette organisation facilite la récupération de ses connaissances et constitue le modèle mental dans lequel les données du problème viendront prendre place.

Une recherche de Chi et al (1982) a démontré que les fleuristes se comportent en experts en résolution de problèmes portant sur des fleurs alors que ce n’est pas le cas lorsque des experts en résolution de problèmes, peu intéressés par les fleurs ou n’ayant que peu de connaissances en ce domaine, se mesurent à des problèmes semblables.

Bref, les stratégies de résolution de problèmes ne sont transférables qu’à partir du moment où un individu, expert ou non, possède d’importantes connaissances du domaine dans lequel se situe le problème qui lui est posé. Imaginons donc une SAE portant sur le sirop d’érable. L’élève, dont les parents vivent de cette industrie, risque d’en posséder un modèle mental qui facilitera sa résolution de problèmes à ce sujet. Même s’il n’est habituellement pas reconnu expert en résolution de problèmes, il pourrait se comporter comme tel lors de la résolution des problèmes portant sur ce sujet. D’autre part, un expert en résolution de problèmes, ayant peu ou pas de connaissances au sujet des érablières, se comportera souvent en novice lorsqu’on lui adressera des problèmes portant sur le sirop d’érable. C’est ce que de nombreuses recherches, citées à la fin de cette lettre, ont découvert.

En conséquence, que mesurent les SAE? D’abord et avant tout les connaissances que possède un élève sur le sujet dans lequel se situe le problème qui lui est posé. Elles mesurent donc la culture de l’élève. C’est seulement lorsque ces éléments culturels sont en place que l’élève a la possibilité démontrer ses aptitudes en résolution de problèmes.

Au Québec, depuis la venue des examens-roman et des examens-bricolage, les écoles se sont lancées dans l’utilisation de SAE destinées, semble-t-il, à préparer les élèves à ces examens. Cette démarche est une pure perte de temps sauf si l’examen du ministère porte sur un sujet qui appartient à une classe de problèmes similaires à ceux des SAE utilisées en guise de préparation à l’examen. Encore faut-il que la SAE correspondante ait permis aux élèves d’acquérir suffisamment de connaissances et d’expérience du sujet de la SAE pour s’en construire un modèle mental solide.

En ce qui concerne les élèves, on pourra porter des jugements tels les suivants :

«Considérant que les connaissances de l’élève relatives au contexte de la situation problème, ou à des contextes similaires, ont été préalablement évaluées suffisantes, il en découle que ses aptitudes en résolutions de problème sont évaluées comme suit …»

«Considérant le fait que les connaissances de l’élève relatives au contexte de la situation problème n’ont pas été préalablement évaluées suffisantes, aucun jugement ne peut être porté sur ses capacités en résolution de problèmes.»

En conclusion, afin d’aider les élèves en résolution de problèmes, il convient d’en développer les stratégies dans des contextes diversifiés pouvant servir de modèles. Par exemple un problème touchant l’établissement d’un budget familial appartient à la même catégorie qu’un problème touchant le budget d’une école. Le contexte du ou des problèmes d’apprentissage de base devra être bien connu des élèves avant même que l’on puisse prétendre développer des stratégies de résolution de problèmes. De la même façon, les contextes utilisés afin d’évaluer les élèves devront être suffisamment similaires aux contextes d’apprentissage pour que les élèves puissent les associer comme appartenant à la même catégorie de problèmes. Faut-il ajouter que pour réussir de telles associations, les contextes des situations d’évaluation devront eux aussi être déjà bien connus ? En clair, il faut choisir des thématiques qui appartiennent au quotidien des élèves.

Parallèlement, il faut développer la culture générale des élèves afin qu’ils puissent augmenter le nombre de domaines dans lesquels ils pourront éventuellement développer et manifester leur expertise en résolution de problèmes. Mais, quelle est la partie de cette formation de l’élève qui relève de l’enseignement des mathématiques ? Et s’il y a des bases culturelles à développer lors de l’enseignement des mathématiques, ne serait-ce pas d’abord l’histoire des mathématiques, laquelle peut permettre de mieux comprendre à quoi servent les mathématiques en étudiant les domaines de l’activité humaine à l’intérieur desquels il s’est avéré nécessaire de les mettre sur pieds ?


Robert Lyons

Voici quelques recherches qui démontrent l’importance d’une excellente connaissance du contexte d’un problème au moment de tenter de le résoudre :

Snyder, Bruck and Sapin 1954 et 1962; Simon 1981; Chi et al 1982; Voss, Green, Post and Penner 1983; De Bono 1983; Beyer 1984; Pennington and Hastie 1986; Purkitt and Dyson 1988; Premkumar 1989; Palumbo 1990; Sylvan and Voss 1998; Jonassen 1997.

samedi 14 novembre 2009

Les SAE sont-elles légales ?

Le système scolaire québécois est soumis à la loi dite de l’instruction publique. C’est une vieille loi, mais de fréquents amendements permettent de la rajeunir ou, du moins, de l’ajuster à une société en évolution.

Il existe cependant un article de cette loi qui n’a subi, à ma connaissance, aucun amendement depuis au moins vingt ans. Il se lit comme suit :

230. La commission scolaire s’assure que pour l’enseignement des programmes d’études établis par le ministère, l’école ne se serve que des manuels scolaires, du matériel didactique ou des catégories de matériel didactique approuvés par le ministre.

Une remarque avant d’aller plus loin, cet article ne s’applique évidemment pas aux crayons, papiers et autres objets de même nature lesquels ne sont pas considérés comme du matériel didactique (article 7 de la même loi). Il ne s’applique pas aux exercices et examens conçus par l’enseignante pour fins d’adaptation de son enseignement. Nous y reviendrons.

Lorsqu’on mentionne l’approbation du ministre, cela se réfère à un processus très précis régi par le Bureau d’approbation du matériel didactique (BAMD). Tout le matériel didactique doit passer par ce processus et ce qui est approuvé se trouve sur les listes du ministère que l’on peut consulter sur internet à l’adresse http://www3.mels.gouv.qc.ca/bamd/menu.asp

On constatera qu’aucune SAE ne figure sur ces listes. Les SAE sont-elles illégales pour autant ? Afin de répondre à cette question mentionnons l’article 19 de la même loi.

19. Dans le cadre du projet éducatif de l’école et des dispositions de la présente loi, l’enseignant a le droit de diriger la conduite de chaque groupe d’élèves qui lui est confié.

L’enseignant a notamment le droit :

1. de prendre des modalités d’intervention pédagogique qui correspondent aux besoins et aux objectifs fixés pour chaque groupe ou pour chaque élève qui lui est confié;
2. de choisir les instruments d’évaluation des élèves qui lui sont confiés afin de mesurer et d’évaluer constamment et périodiquement les besoins et l’atteinte des objectifs par rapport à chacun des élèves qui lui sont confiés en se basant sur les progrès réalisés.


Afin d’avoir un tableau complet, ajoutons :

96.15 Sur proposition des enseignants ou, dans le cas des propositions prévues au paragraphe 5e, des membres du personnel concernés, le directeur de l’école :

4e approuve les normes et modalités d’évaluation des apprentissages de l’élève, notamment les modalités de communication ayant pour but de renseigner ses parents sur son cheminement scolaire, en tenant compte de ce qui est prévu au régime pédagogique et sous réserve des épreuves que peut imposer le ministre ou la commission scolaire.


Bref, en ce qui concerne le matériel d’enseignement, il doit figurer sur la liste du matériel approuvé par le ministère (article 230) ou provenir du choix de l’enseignant tenant compte des besoins de ses élèves (article 19). Il est donc illégal d’imposer aux enseignantes d’utiliser les SAE.

En ce qui concerne les outils d’évaluation, le ministre et la commission scolaire peuvent en imposer. Cependant, il va de soi que ces outils, tout comme les manuels scolaires, auront été validés au préalable.

La pensée sous-jacente à tous ces articles de loi est la suivante : ce qui est mis dans les mains des élèves doit être de qualité. Or il existe deux façons de s’en assurer :

- Si le matériel vient de l’extérieur, il doit avoir été approuvé par le bureau d’approbation du matériel didactique (article 230).
- Si le matériel est produit localement, par un ou des membres du personnel de la commission scolaire, la décision de l’utiliser appartient entièrement à l’enseignante (19).

Cela est normal car, en principe, ce qui est approuvé par le ministère a été validé et permet une marge de manœuvre grâce à laquelle l’enseignante peut l’adapter aux besoins de ses élèves. Cette nécessaire possibilité d’adaptation doit exister lorsque le matériel n’a pas été validé selon des normes reconnues. Dans un tel cas, le meilleur instrument d’approbation est le jugement de l’enseignante.

En ce qui concerne les instruments d’évaluation, cela revient au même, il est obligatoire d’utiliser ceux que le ministère ou la commission scolaire impose. Cependant, il va de soi que le ministère et la commission scolaire doivent avoir procédé au préalable à une sérieuse validation auprès d’un nombre suffisamment élevé et représentatif d’élèves puisque dans le cas d’une évaluation externe et officielle, l’enseignante ne peut adapter l’instrument qu’elle reçoit et l’interprétation des résultats ne donne que très peu de marge de manœuvre.

Considérant sa responsabilité, il va de soi que l’enseignante soit bien informée de ce qui a été fait pour valider ces instruments d’évaluation et ce qui en est résulté. Cela est essentiel car c’est l’opinion de l’enseignante qui sera la plus importante lorsqu’il faudra décider de la promotion de l’élève. Or, pour le faire adéquatement, elle devra connaître la valeur des données dont elle dispose.