Plusieurs enseignantes ou enseignants consacrent énormément de temps afin de structurer les explications qui seront offertes à leurs élèves afin de développer divers concepts. Il me semble que l’enseignement par explications est dépassé et qu’il ne correspond plus à ce qu’attendent les enfants actuels.
Ma petite-fille vient d’avoir quatre ans et, lorsque je travaille, j’ai habituellement trois ordinateurs qui fonctionnent autour de moi. Il y a deux PC et un MAC. Souvent, elle se glisse sur mes genoux afin de pouvoir utiliser un ordinateur inoccupé, MAC ou PC. Elle peut insérer un DVD et le faire jouer sur mon PC le plus récent. Personne ne lui a montré comment le faire sur cet appareil, lequel est un portable alors que l’autre est un ordinateur de bureau. Elle va sur internet, repère la fenêtre de Google, tape seule un mot tel Dora, choisit un site de coloriage. Selon le site, elle peut colorier directement le dessin ou elle doit le copier. Dans ce cas, elle doit ouvrir Paint, coller le dessin, le réduire et, enfin, appliquer les couleurs de son choix. Dans deux ans, on lui apprendra à distinguer les formes de bases, les couleurs, à lire et à écrire … et surtout, on le fera en lui donnant des explications qu’elle n’aura probablement pas demandées. Cela ne convient vraiment pas. Elle apprend surtout par résolution de problèmes, pas par explications non sollicitées.
Est-ce un cas particulier ? Quel enfant a appris à marcher, à parler, à penser par explications ? Aucun ! Ceux qui ont essayé ne marchent toujours pas !
Ce que je crois avoir démontré pendant les quarante dernières années, c’est que l’école doit placer l’élève dans des situations dans lesquelles il doit apprendre par lui-même à partir d’un problème qu’il tente de résoudre seul. Cela n’implique pas que nous lui refusions toute aide qu’elle soit sous la forme d’un exemple ou d’une explication. Cela implique que nous refusions de l’aider tant qu’il ne le demande pas. Cela implique que, très jeune, il soit encouragé à se débrouiller seul et que nous applaudissions ses succès. Ma petite-fille doit refuser plusieurs dizaines de fois par jour que quelqu’un l’aide. Elle nous lance alors un : «Je suis capable !». Lorsqu’elle a un problème, elle dit : «Je vais trouver une solution !» Cela lui semble la voie normale.
Il me semble donc qu’en apprentissage, le rôle du parent et de l’enseignante est de poser, j’irais même jusqu’à écrire, de causer, des problèmes à l’enfant et d’observer ses efforts afin d’être disponible lorsque l’enfant nous demandera de l’aide. Cette aide devant alors être très limitée. Son objectif premier étant de faire voir le problème sous un autre angle plutôt que de le solutionner à la place de l’enfant.
Il existe un outil fort peu connu et rarement utilisé en enseignement, malgré sa grande valeur, il s’agit du conflit cognitif. Essentiellement, il consiste à faire voir à l’enfant qu’il croit à deux concepts contradictoires. Par exemple, l’erreur la plus fréquente en calcul est la suivante :
45 – 17 = 32. L’élève a effectué 7 – 5 = 2 car il croyait que l’on ne peut soustraire 7 de 5. Afin de créer un conflit on lui proposera 45 – 13 en exigeant qu’il prédise d’abord si la réponse sera plus petite, égale ou plus grande que 32, obtenu pour la première soustraction. Habituellement les élèves disent qu’elle sera plus grande car on soustrait un nombre plus petit que la première fois. On laisse alors l’élève faire le calcul et s’étonner du résultat obtenu. Il est en conflit cognitif et, rapidement, il rejettera la première réponse, allant souvent jusqu’à mentionner qu’il faudrait faire 5 – 7 et non 7 – 5. Il sait désormais qu’il a quelque chose à apprendre. Même si nous l’aidons alors, il comprend ce que vise cette aide et sait à quoi s’attendre. Notre travail se situe dans une problématique qu’il comprend.
Il me semble donc que l’enseignement des mathématiques doit se transformer radicalement. Il nous faut remplacer l’art et la science d’expliquer par l’art et la science de poser des problèmes appropriés et d’accompagner les élèves dans leurs essais de résolution. Finalement, la meilleure préparation de classe n’est probablement pas de planifier ce que les élèves devront écouter, mais de nous préparer à les écouter.
Avec les nouvelles technologies, il est relativement facile de mettre sur pieds des vidéos qui présenteront des problèmes aux élèves dans un environnement qui fait partie de leur culture. Un mini-ordinateur coûte actuellement moins cher que les volumes scolaires dont dispose un élève de neuf ans et plus. Ces appareils sont très patients, l’élève n’est pas gêné s’ils sont témoins de ses difficultés. Ils peuvent faire une grande partie du travail de l’enseignante, laissant à cette dernière beaucoup plus de temps afin de gérer les différences individuelles. Ce travail est exigent, probablement plus exigent que le mode explicatif actuel, mais, en plus de trente-cinq années d’animation d’enseignantes, il m’est apparu que quelques exceptions seulement refusent de faire les efforts nécessaires à l’amélioration de leur enseignement.
En mettant aujourd’hui un terme à l’aventure que fut celle de Mathadore, je demeure convaincu de l’importance du rôle du personnel enseignant. Je crois cependant que ce rôle doit changer de façon radicale. Il me semble que les nouvelles technologies permettront à l’enseignante et à l’enseignant de demain de faire un travail qu’ils ne peuvent faire que rarement actuellement. La popularité croissante de l’enseignement à la maison nous signale que quelque chose doit changer.
Si, en tant qu’enseignants, nous réussissons à défier nos élèves au moyen de problèmes qui attirent leur attention, non seulement nous favoriserons davantage le développement de leurs apprentissages, mais nous leur permettrons de développer des stratégies essentielles et une excellente confiance en leurs merveilleuses capacités.
Avec un gros pincement de cœur, je mets donc un terme à dix années pendant lesquelles vous, qui êtes plus de cinq mille, avez accepté de me lire aussi fidèlement. Suite au dernier Mathadore vous m’avez écrit en grand nombre et j’ai eu le plaisir de constater que certains de mes écrits ont pu vous aider et vous inspirer. Tous les Mathadore publiés demeureront archivés sur www.defimath.ca. J’espère les relire, les regrouper et, qui sait, en publier un jour l’essentiel sous la forme d’un volume. Je ne vous dis donc pas «Adieu !» mais «Au revoir !» car, d’autres projets en voie de développement, me permettront possiblement de pouvoir vous être utiles sous peu en utilisant d’autres outils que les nouvelles technologies mettent à notre disposition.
Je termine en vous remerciant de votre fidélité et en vous assurant que ce fut un plaisir et un honneur de pouvoir vous offrir mes idées et commentaires régulièrement.
Prenez soin de vous et … nous verrons bien ce que nous réserve le futur.
Robert Lyons
dimanche 18 avril 2010
lundi 5 avril 2010
Ce que je crois avoir compris.
La lettre Mathadore était, au début, un projet de quelques mois qui avait pour but d’accompagner le personnel enseignant dans l’implantation du programme de l’année 2000, lequel s’annonçait prometteur. Avec le temps, elle est devenue une sorte de rendez-vous pédagogique et didactique axé sur l’enseignement des mathématiques. À plusieurs reprises, nous avons dénoncé les nombreux dérapages de ce qui a été appelé «La réforme». Dix années plus tard, il est devenu évident que «La réforme» a été, pendant ces dix années, un prétexte à des luttes de pouvoir beaucoup plus qu’un outil permettant un urgent réalignement de l’enseignement des mathématiques.
Alors, en guise d’adieu, je me permets de vous livrer ce sur quoi, il me semble, devrait se construire un enseignement nettement amélioré des mathématiques.
D’abord, un changement important et durable ne peut être amorcé ou orienté au moyen d’un nouveau programme. Les programmes peuvent être interprétés de façons trop diverses et, souvent, opposées. Ils sont parcourus minutieusement par des gens qui s’y connaissent peu en enseignement et qui ne regardent que les innovations dans le but de les dénoncer. Après tout, voyez ce que ces critiques sont devenus en apprenant avec les programmes précédents. Peut-on demander davantage ? Évidemment, leurs commentaires soulèvent l’inquiétude des parents et l’inconfort du personnel enseignant qui passe en mode défensif. Or, le genre de programme qui devient nécessaire en mathématiques comporte des innovations importantes qui sont plus fondamentales que les changements de terminologie, spécialité des gens du ministère et cible privilégiée des journalistes souvent plus forts en jeux de mots qu’en jeux conceptuels.
Bref, les changements devront être discrets et progressifs. Ils pourraient provenir d’activités publiées sur internet et accessibles à tous. Des activités validées par des experts qui sont d’abord et avant tout des enseignantes qui font vivre ces activités à leurs élèves. Il faudrait cependant considérer le long terme car une activité peut avoir un grand succès en regard des objectifs visés lors d’une année scolaire tout en préparant de solides difficultés quelques années plus tard. Cela se produit fréquemment. Ainsi, apprendre aux élèves que la multiplication est une addition répétée conduit à des difficultés de taille lors de l’apprentissage de la multiplication de fractions, de nombres négatifs et de nombres algébriques. Des difficultés comparables résultent d’un enseignement «à court terme» de la division, des exposants, des figures planes … Il faut donc non seulement que les activités soient évaluées lors de leur utilisation, mais aussi, il faut en voir les effets à long terme. Comment fixer la durée de ce long terme ? Il faut multiplier par deux le degré de scolarité durant lequel l’activité a été utilisée. Pour une activité utilisée en deuxième année, il faudra vérifier si, en troisième et en quatrième année, les concepts qu’elle développait ne sont pas contredits, même partiellement, par les nouveaux concepts enseignés durant ces deux années. Bref, le travail du personnel enseignant doit être accompagné du travail d’un pédagogue chercheur spécialisé en mathématiques.
Il faudra mettre les parents dans le coup non seulement en les informant correctement, mais en leur permettant de faire vivre à leurs enfants des activités similaires. Il faudra qu’au départ, ils soient informés des objectifs d’apprentissage visés et des manifestations attendues. Et, de grâce, en évitant un langage hermétique qui ne cause que la confusion auprès de tous, même chez ceux qui sont affublés du titre d’«experts». Il n’y a en fait qu’une façon efficace de réduire l’insécurité manifestée par les élèves, par les parents et par les enseignantes, c’est de leur permettre de voir les petits progrès qui interviennent régulièrement à quelques jours de distance. Mettre les parents dans le coup de cette façon transforme les relations entre enseignantes et parents. Le parent qui peut suivre son enfant avec des outils similaires à ceux de l’enseignante demande moins à cette dernière de justifier les notes de son enfant. Il s’intéresse davantage aux méthodes et aux outils d’enseignement qui peuvent lui permettre d’aider son enfant. Ce qui précède ne nous semble pas utopique. Avec l’internet nous pouvons avoir presque tous accès aux informations et aux outils nécessaires.
Par ailleurs, il faudra reconnaître que les stratégies pédagogiques qui permettent de motiver, de décourager le copiage ou encore de gérer le travail en équipe se ressemblent d’une matière scolaire à une autre. Par contre, chaque matière possède une didactique particulière. Si la didactique des mathématiques ressemble beaucoup à la didactique des sciences, elle a peu en commun avec la didactique des arts et encore moins en commun avec celle des langues. Depuis plus d’un demi-siècle de nombreux essais en vue d’intégrer les matières se sont soldés par des «succès» très réduits. Il est temps d’orienter nos efforts vers les stratégies particulières qui tiennent compte de la spécificité de chacune des matières. Il faut que chacune des matières trouve sa place légitime dans la grille horaire. Il faut que cesse la pratique de réduire les notes des matières autres que le français si des fautes d’orthographe se retrouvent dans un travail de mathématiques ou de sciences par exemple. Les erreurs de français, qui figurent dans ces travaux, doivent être soulignées. Il faut que des points soient perdus à cause de ces fautes, mais ils doivent réduire la note du français. Nous avons rencontré des étudiants universitaires obligés de reprendre un cours en géométrie à cause des fautes de français relevées dans les travaux de leur cours précédent de géométrie. Une évaluation doit rendre justice à l’étudiant et, si possible, permettre d’orienter son travail futur. Comment aide-t-on un étudiant en français en lui imposant une reprise en géométrie ? On croirait que les responsables de telles décisions n’ont aucune confiance en la valeur des cours de français.
Bon, je croyais, en débutant cette lettre, être en train d’écrire mon dernier Mathadore. Il me semble avoir encore certaines choses à ajouter à ce bilan. Donc, il y aura un Mathadore 329.
À bientôt,
Robert Lyons
Alors, en guise d’adieu, je me permets de vous livrer ce sur quoi, il me semble, devrait se construire un enseignement nettement amélioré des mathématiques.
D’abord, un changement important et durable ne peut être amorcé ou orienté au moyen d’un nouveau programme. Les programmes peuvent être interprétés de façons trop diverses et, souvent, opposées. Ils sont parcourus minutieusement par des gens qui s’y connaissent peu en enseignement et qui ne regardent que les innovations dans le but de les dénoncer. Après tout, voyez ce que ces critiques sont devenus en apprenant avec les programmes précédents. Peut-on demander davantage ? Évidemment, leurs commentaires soulèvent l’inquiétude des parents et l’inconfort du personnel enseignant qui passe en mode défensif. Or, le genre de programme qui devient nécessaire en mathématiques comporte des innovations importantes qui sont plus fondamentales que les changements de terminologie, spécialité des gens du ministère et cible privilégiée des journalistes souvent plus forts en jeux de mots qu’en jeux conceptuels.
Bref, les changements devront être discrets et progressifs. Ils pourraient provenir d’activités publiées sur internet et accessibles à tous. Des activités validées par des experts qui sont d’abord et avant tout des enseignantes qui font vivre ces activités à leurs élèves. Il faudrait cependant considérer le long terme car une activité peut avoir un grand succès en regard des objectifs visés lors d’une année scolaire tout en préparant de solides difficultés quelques années plus tard. Cela se produit fréquemment. Ainsi, apprendre aux élèves que la multiplication est une addition répétée conduit à des difficultés de taille lors de l’apprentissage de la multiplication de fractions, de nombres négatifs et de nombres algébriques. Des difficultés comparables résultent d’un enseignement «à court terme» de la division, des exposants, des figures planes … Il faut donc non seulement que les activités soient évaluées lors de leur utilisation, mais aussi, il faut en voir les effets à long terme. Comment fixer la durée de ce long terme ? Il faut multiplier par deux le degré de scolarité durant lequel l’activité a été utilisée. Pour une activité utilisée en deuxième année, il faudra vérifier si, en troisième et en quatrième année, les concepts qu’elle développait ne sont pas contredits, même partiellement, par les nouveaux concepts enseignés durant ces deux années. Bref, le travail du personnel enseignant doit être accompagné du travail d’un pédagogue chercheur spécialisé en mathématiques.
Il faudra mettre les parents dans le coup non seulement en les informant correctement, mais en leur permettant de faire vivre à leurs enfants des activités similaires. Il faudra qu’au départ, ils soient informés des objectifs d’apprentissage visés et des manifestations attendues. Et, de grâce, en évitant un langage hermétique qui ne cause que la confusion auprès de tous, même chez ceux qui sont affublés du titre d’«experts». Il n’y a en fait qu’une façon efficace de réduire l’insécurité manifestée par les élèves, par les parents et par les enseignantes, c’est de leur permettre de voir les petits progrès qui interviennent régulièrement à quelques jours de distance. Mettre les parents dans le coup de cette façon transforme les relations entre enseignantes et parents. Le parent qui peut suivre son enfant avec des outils similaires à ceux de l’enseignante demande moins à cette dernière de justifier les notes de son enfant. Il s’intéresse davantage aux méthodes et aux outils d’enseignement qui peuvent lui permettre d’aider son enfant. Ce qui précède ne nous semble pas utopique. Avec l’internet nous pouvons avoir presque tous accès aux informations et aux outils nécessaires.
Par ailleurs, il faudra reconnaître que les stratégies pédagogiques qui permettent de motiver, de décourager le copiage ou encore de gérer le travail en équipe se ressemblent d’une matière scolaire à une autre. Par contre, chaque matière possède une didactique particulière. Si la didactique des mathématiques ressemble beaucoup à la didactique des sciences, elle a peu en commun avec la didactique des arts et encore moins en commun avec celle des langues. Depuis plus d’un demi-siècle de nombreux essais en vue d’intégrer les matières se sont soldés par des «succès» très réduits. Il est temps d’orienter nos efforts vers les stratégies particulières qui tiennent compte de la spécificité de chacune des matières. Il faut que chacune des matières trouve sa place légitime dans la grille horaire. Il faut que cesse la pratique de réduire les notes des matières autres que le français si des fautes d’orthographe se retrouvent dans un travail de mathématiques ou de sciences par exemple. Les erreurs de français, qui figurent dans ces travaux, doivent être soulignées. Il faut que des points soient perdus à cause de ces fautes, mais ils doivent réduire la note du français. Nous avons rencontré des étudiants universitaires obligés de reprendre un cours en géométrie à cause des fautes de français relevées dans les travaux de leur cours précédent de géométrie. Une évaluation doit rendre justice à l’étudiant et, si possible, permettre d’orienter son travail futur. Comment aide-t-on un étudiant en français en lui imposant une reprise en géométrie ? On croirait que les responsables de telles décisions n’ont aucune confiance en la valeur des cours de français.
Bon, je croyais, en débutant cette lettre, être en train d’écrire mon dernier Mathadore. Il me semble avoir encore certaines choses à ajouter à ce bilan. Donc, il y aura un Mathadore 329.
À bientôt,
Robert Lyons
Inscription à :
Articles (Atom)