dimanche 21 février 2010

La meilleure technique

À l’ère de l’ordinateur et de la calculatrice, c’est incroyable de voir l’importance accordée au calcul écrit. Lors d’une rencontre de parents, il y a quelques années, rencontre à laquelle assistaient aussi quelques enseignantes et un élève de onze ans, un parent mentionnait qu’il croyait qu’il fallait insister encore beaucoup sur le calcul écrit. Interrogé au sujet de l’importante de développer de la facilité afin de multiplier et de diviser par des nombres à deux chiffres, il en admit la grande importance.

Nous avons alors demandé aux personnes présentes de lever la main si, au moins une fois par mois, elles effectuaient une multiplication ou une division écrite par un nombre à deux chiffres. Une seule personne de l’assistance a levé la main, l’élève de onze ans. Il fallait voir son étonnement lorsqu’il vit qu’il était seul. J’imagine que, par la suite, il a éprouvé certaines difficultés à croire que cet apprentissage allait lui servir régulièrement plus tard.

Mais, il y a mieux ! Lorsqu’on demande aux parents et aux enseignantes quelles techniques il faut apprendre aux élèves ou lorsque nous permettons aux élèves d’en apprendre d’autres que celles qui ont torturé l’enfance de leurs parents, il est fréquent d’entendre dire que ces «nouvelles techniques» ne sont pas les meilleures. Là, il semble bien que cette opinion constitue la croyance de la majorité des parents et des enseignants de la planète.

Le problème, c’est que les francophones du Québec, par exemple, et ceux de France n’utilisent pas la même technique de soustraction. Ajoutons que les francophones du Québec ne divisent pas comme les anglophones de cette même province. Mieux encore, en Chine, le calcul écrit n’existe pas. Bref, considérant les convictions profondes des habitants de notre planète à l’effet que leurs techniques soient les meilleures, il faut bien admettre que ce qui détermine la valeur d’une technique de calcul n’a rien à voir avec la pédagogie ou les mathématiques. Il s’agit probablement d’un problème d’ordre géographique.

Mais quelles techniques adoptent les as du calcul ? Celles qui facilitent leur travail !

Ainsi, si la soustraction 4356 – 2124 ne cause aucun problème sérieux et qu’elle puisse être résolue aussi facilement de gauche à droite ou de droite à gauche, une soustraction telle 4000 – 2127 présente de jolis défis. Au Canada, nous utilisons la technique de l’emprunt, laquelle transforme 4000 en 3 (9) (9) (10), c’est-à-dire en 3 milliers, 9 centaines, 9 dizaines et 10 unités. Le reste est facile. Pendant ce temps, en France, «la meilleure technique» consiste à modifier à la fois 4000 et 2127 de sorte que là aussi, la soustraction puisse s’effectuer à chaque position. Dans ce but, 4000 devient 4 (10) (10) (10) alors que 2127 est changé en 3237. Ce sont en fait des techniques bien complexes pour qui prend d’abord le temps de réfléchir et de changer 4000 en 3999 et 2127 en 2126.

Chose étonnante, à l’épicerie, en calcul mental, aucune des techniques précédentes n’est choisie. À cet endroit, à l’insu de tous, nous avons l’habitude de soustraire comme suit : 40$ - 21,27$ devient 18$ …puis !8,73$. Calcul de gauche à droite ! Pourtant, on avoue que le calcul mental est plus exigeant que le calcul écrit. N’est-ce pas normal alors de tenter d’utiliser «la meilleure technique» ?

Mais, il y a ces deux fillettes de sept ans qui, indépendamment l’une de l’autre, à des centaines de kilomètres de distances, (Halifax en Nouvelle-Écosse et St-Jean-sur-Richelieu au Québec) ont utilisé les nombres négatifs comme suit : 421 – 158 = 3 (-3) (-7) ou 300 – 30 – 7 et ensuite 300 – 30 = 270 et 270 – 7 = 263. Personne ne leur avait appris ces algorithmes. Nous n’en avons trouvé aucune trace dans l’histoire des mathématiques. Se pourrait-il que nos élèves, dont l’ingéniosité se remarque facilement lorsqu’ils pratiquent des jeux électroniques interactifs ou encore lorsqu’ils utilisent le micro-ondes, le téléviseur ou même l’ordinateur, soient aussi en mesure de manifester leur créativité et leurs capacités à résoudre des problèmes en inventant ou en redécouvrant de très bonnes techniques de calcul ?

J’allais oublier, quelle est donc la meilleure technique ? Il me semble que ce soit celle qui est la plus simple, celle qui, pour un calcul donné, en réduit le plus possible le risque d’erreurs. Ainsi, quelle technique utiliser afin de diviser 35 505 par 45 ? La technique anglophone ou la technique francophone ? La meilleure technique me semble d’abord de remplacer 35 505 et 45 par 71 010 et 90 et, ensuite par 7101 et 9. En effet, multiplier ces deux nombres par 2 et diviser ensuite 7101 par 9 est beaucoup plus simple, plus rapide et moins risqué que de diviser 35 505 par 45.

Robert Lyons

samedi 6 février 2010

Sur l'efficacité

Le rôle de la répétition et de l’entraînement en vue de développer aisance et efficacité est bien connu. Ces activités permettent de créer des modèles qui seront sélectionnés et exécutés de plus en plus rapidement et efficacement.

À plusieurs reprises, nous avons pu observer de jeunes enfants qui s’initiaient au jeu Logix. Ce jeu consiste à positionner dans une grille 3 × 3 neuf pièces qui sont des carrés, des triangles ou des cercles chacune étant de couleur bleue, jaune ou rouge. Habituellement, les débutants réussissent les cinq à dix premières fiches avant de frapper un mur. Souvent, ils laissent alors le jeu de côté avant d’y revenir en recommençant avec la première fiche. On observe alors qu’ils vont plus loin que lors de leur premier essai. Ils utiliseront régulièrement cette stratégie de retour en arrière sans nécessairement recommencer au début réussissant ainsi à aller de plus en plus loin à chaque nouvel essai.

Il est facile d’observer que ce qui les aide à progresser est l’assimilation de plus en plus grande des consignes qui sont progressivement introduites dans le jeu. Tout se passe comme s’il devenait impossible de progresser lorsque plus que deux ou trois consignes nouvelles devaient être gérées. Par contre, le nombre de consignes déjà assimilées peut être considérable. Lorsqu’un élève réussit avec aisance l’ensemble des fiches du jeu Logix, il peut se mesurer à Logix Signature II qui introduit de nouvelles consignes. Il est facile d’observer alors que ce que les joueurs ont déjà assimilé est réutilisé automatiquement. Cependant, cela ne semble nullement les aider dans l’apprentissage des nouvelles consignes.

Imaginez un conducteur de taxi qui travaille dans une ville dont les rues sont disposées de façon semblable à un plan cartésien. Si, par chance, les rues sont identifiées nord-sud ou est-ouest ou si, dans un sens elles sont dites rues et, dans l’autre, avenues, le travail de ce conducteur est largement facilité. Et c’est encore plus facile si les rues et avenues sont numérotées. Si c’est le cas, il se fera rapidement un modèle mental de sa ville et pourra s’orienter sans difficultés vers une adresse donnée.

Mais si ce conducteur doit aller exercer son métier dans une autre ville où les rues sont encore disposées selon un plan cartésien et que, cette fois, rien dans les noms de rues n’indique leur sens ou leur position par rapport aux autres rues alors seule l’organisation cartésienne des rues peut être transférée. Pour le reste, il doit tout reprendre à zéro. Et, s’il déménage dans une autre ville où les rues sont pratiquement toujours en forme d’arc de cercle et si elles sont très courtes, alors tout est à refaire, rien n’étant transférable.

Prenons un autre exemple, l’apprentissage du calcul mental en multiplication. D’abord, il y a les fameuses tables de base à mémoriser. Ce n’est pas nécessairement facile, mais avec une bonne mémoire et quelques efforts, nous y parvenons presque tous.

Passons à une autre étape, la multiplication mentale de nombres à deux chiffres. Cette fois, la mémorisation pure est hors de portée de la majorité des gens. Ce qui a été mémorisé au début va toujours servir, mais la façon de l’apprendre, soit par mémoire pure, ne peut être transférée à ce qui est désiré maintenant. D’ailleurs, pour la majorité des gens, la multiplication mentale au-delà de 10 X 10 ou de 12 X 12, n’est même pas envisagée.

Il faudra de nouvelles stratégies. En guise d’exemples :
1. Lorsqu’il faut multiplier par lui-même un nombre ayant 5 à la position des unités, il suffit d’abord de multiplier le chiffre des dizaines par le suivant (pour 15 × 15 : 1 × 2 = 2; pour 25 × 25 : 2 × 3 = 6…) et de faire suivre ce nombre par 25.
Donc : 15 × 15 conduit à 1 × 2 = 2, ensuite à 225;
35 × 35 devient 3 × 4 = 12 ensuite 1225;
75 × 75 devient 7 × 8 = 56 et ensuite 5625.
C’est une technique très utile, mais elle est inutilisable si, à la position des unités, le chiffre est autre que 5 et si le nombre n’est pas
multiplié par lui-même.
2. Voici une autre technique, celle de la différence de carrés.
Prenons 8 × 10.
La moyenne entre 8 et 10 est 9 que nous élevons au carré : 9 × 9 = 81.
L’écart entre la moyenne et 8 ou 10 est 1 qui sera aussi élevé au carré : 1 × 1 = 1. Il reste à soustraire le petit carré du grand :
81 – 1 = 80 donc 8 × 10 = 80.
Essayons avec 36 × 44. La moyenne est 40, donc 40 × 40 = 1600. L’écart entre 40 et 36 ou 44 est 4, donc 4 × 4 = 16.
Enfin 1600 – 16 = 1584 donc 36 × 44 = 1584.

Cette dernière technique est fort utile lorsque la moyenne est un multiple de dix. Si ce n’est pas le cas, cela s’avère plus difficile. Il existe de nombreuses autres techniques qui permettent de simplifier diverses multiplications de nombres à deux chiffres. Elles n’ont toutefois pas nécessairement de liens avec les deux précédentes.

Ce qui vient d’être décrit peut être programmé sous la forme d’une séquence d’apprentissages et il est facile d’évaluer la progression des élèves dans ces apprentissages. Malheureusement tous les apprentissages ne se programment pas aussi facilement. Dans certains domaines il ne semble pas possible de définir une séquence d’apprentissages et, partant, d’évaluer la progression des élèves. C’est ce qui se passe en apprentissage de la créativité et de la résolution de problèmes.

Robert Lyons

samedi 23 janvier 2010

Passage primaire-secondaire

Au moment où nous écrivons ces lignes, il y a certainement des comités dits de passage primaire-secondaire qui existent dans diverses commissions scolaires. Il y a aussi probablement des comités de travail dont le but est d’harmoniser le passage des élèves d’un degré au degré suivant. Existent aussi de nombreux examens de promotion qui servent, comme les activités qui viennent d’être mentionnées, à tenter de s’assurer que les élèves ont telle série d’acquis à la fin de telle année de scolarité.

Par ailleurs, lorsque nous comparons les programmes d’études de deux années qui se suivent, nous constatons que soixante pourcent et plus de ce qui est enseigné une année est revu l’année suivante. Ainsi, si nous enlevons du programme de la première année du secondaire tout ce qui est au programme de la dernière année du primaire, ce qui reste représente au maximum deux mois de travail.

On comprendra facilement que si les élèves maîtrisaient réellement le contenu du programme de la fin du primaire, ils devraient s’ennuyer royalement en première année du secondaire. Alors, faut-il tamiser le programme de la sixième année afin de s’assurer qu’une partie seulement est maîtrisée ? Dans ce cas, cette partie représenterait quelle fraction du programme ?

Afin que les enseignants de la première année du secondaire soient dotés d’un programme sans recoupements avec le primaire, il faudrait réduire leur programme actuel de quatre-vingt pourcent de son contenu. Cela entraînerait que les élèves de la fin du primaire devraient maîtriser le contenu du programme de la quatrième année du primaire environ.

Mais tout le monde est conscient qui si ce qui est réputé acquis à la fin d’une année scolaire n’est pas révisé l’année suivante, plusieurs de ces acquis s’envolent rapidement. Que faut-il en conclure ? Peut-on y voir une preuve que trop d’acquis s’appuient sur la mémoire et que celle-ci doive être rafraîchie année après année ?

Il est intéressant de noter que les apprentissages dont les adultes se souviennent le plus font habituellement partie du curriculum du primaire et non de celui du secondaire et ce même s’ils ne s’en sont pas servi depuis des années. On dirait que c’est ce qui a été appris en premier qui est encore le plus présent dans nos mémoires. Bref, à long terme, ce dont l’élève se rappelle le plus est ce qu’il a appris, par exemple, dans la dernière année du primaire et non dans la première année du secondaire. Pourquoi ?

Il me semble que cela résulte des apprentissages contradictoires dont fourmillent les programmes et les manuels scolaires. Entre deux «lois», entre deux «définitions», c’est celle qui fut acquise en premier dont on se souviendra le plus facilement. Cette première «loi» ou «définition» ne sera que très rarement corrigée ou ajustée malgré tous les apprentissages qui la contrediront plus tard. Cependant elle nuira considérablement à ces nouveaux apprentissages au point de placer fréquemment l’élève en difficulté lors de leur étude et, avec le temps, ce sont ces nouveaux apprentissages qui disparaîtront.

Voici des exemples. Vers l’âge de dix ans, les élèves apprennent que 7³ = 7 × 7 × 7. Nous leur enseignons alors, ou ils le découvrent eux-mêmes, que les exposants remplacent une multiplication répétée. Une année ou deux plus tard, ils apprendront que 7° = 1 et que tous les nombres affectés de l’exposant zéro sont égaux à un. Cela signifie-t-il qu’en multipliant un nombre par lui-même «zéro fois», on obtienne le nombre un ? Deux années plus tard, ils apprendront les exposants négatifs, par exemple que 5 affecté de l’exposant (-2) est égal à 0,04 ou que 9 exposant ½ est égal à 3. Mais tout cela a été oublié depuis longtemps par la majorité des adultes, sauf la «définition» des exposants qui ne s’appliquait qu’aux exposants positifs et le fait que tout nombre affecté de l’exposant zéro est égal à un.

Évidemment, le fait d’avoir appris que la multiplication serait une addition répétée n’aide pas à comprendre que ½ × ½ = ¼, que (-3) × (-4) = 12, que a × a = a². Croire que diviser c’est partager ou mesurer n’aide vraiment pas à comprendre que 6 ÷ (-2) = (-3) ou que 3 mètres ÷ ½ = 6 mètres.

Finalement, plutôt que de s’assurer, à la fin d’une quelconque année scolaire, que les élèves ont tel ou tel acquis, ne vaudrait-il pas mieux de s’assurer qu’ils n’ont pas certains acquis nuisibles à leurs apprentissages futurs ? N’est-il pas plus facile d’apprendre quelque chose de vraiment nouveau que quelque chose qui contredit ce qu’à tord, nous croyons valable ?

Bonne Année 2010 !

Robert Lyons

samedi 12 décembre 2009

Qu’est-ce qu’un problème complexe?

En fouillant l’histoire des mathématiques, il est relativement facile de retrouver les problèmes qui ont défié de nombreux mathématiciens pendant des siècles. Dans l’Antiquité on en retrouve trois :

1. la quadrature du cercle;
2. la trisection de l’angle;
3. la duplication du cube.

La quadrature du cercle consiste à construire un cercle et un carré de même aire avec seulement une règle non graduée et un compas. Ce problème est vieux de plus de 3600 années. En 1882, après de nombreux efforts, il a été déclaré insoluble.

La trisection de l’angle consiste à diviser un angle en trois parties égales avec une règle non graduée et un compas. Ce problème est lui aussi insoluble sauf si l’on utilise une règle graduée.

La duplication du cube consiste à construire un cube dont le volume est le double d’un cube de référence, le tout avec une règle non graduée et un compas. Il s’agit encore d’un problème insoluble avec les conditions imposées.

Cela nous amène à définir la résolution de problèmes comme l’association d’un état final à un état initial, en surmontant un obstacle plus ou moins important qui empêche de percevoir de façon évidente si, oui ou non, l’état final découle logiquement de l’état initial.

Voici deux autres problèmes plus récents :

1. le théorème des quatre couleurs;
2. le théorème de Fermat.

Le théorème des quatre couleurs consiste à démontrer qu’il suffit de quatre couleurs pour colorier une carte géographique, de sorte que deux pays, qui ont une frontière commune, soient de couleurs différentes. La conjecture préalable à ce théorème a été énoncée en 1852. La seule démonstration existante de ce théorème date de 1976 et elle a été réalisée par ordinateur.

Le théorème de Fermat a été énoncé vers 1620 et résolu par Wiles en 1995. Nous savons tous que la somme de deux carrés parfaits peut être égale à un autre carré : 9 + 16 = 25. Donc il existe des entiers positifs a, b et c tels que a2 + b2 = c2. Le théorème de Fermat énonce que si l’exposant est plus grand que 2 il n’existe plus d’entiers positifs satisfaisant cette équation. Ainsi la somme de deux cubes ne peut être un cube.

Voilà cinq problèmes qui se sont avérés être parmi les plus complexes de l’histoire des mathématiques. Ils peuvent tous être énoncés avec moins de vingt mots chacun. Leur refuser le statut de problème complexe, c’est se moquer de l’histoire des mathématiques et de ses plus grands cerveaux.

En résolution de problèmes, la complexité peut se situer à deux endroits :

- comprendre l’énoncé du problème;
- résoudre le problème.

Il faut parfois beaucoup de travail afin de comprendre un problème devant être isolé d’un contexte plus ou moins élaboré, mais situer la complexité seulement dans cette première phase de la résolution de problèmes démontre une grande ignorance de l’histoire des mathématiques et tend à éclipser l’apprentissage des mathématiques en favorisant celui de la compréhension de textes, celui de la culture et celui du bricolage.

Au Québec, il est clair que l’importance actuellement accordée au travail sur des situations complexes restreint le temps d’apprentissage qui doit être consacré aux concepts, aux techniques et au symbolisme mathématiques. Il est aussi clair que les définitions à la mode de ce qu’est un problème mathématique constituent des erreurs de parcours qui ne peuvent que nuire aux élèves et aux enseignantes. Il coule de source que la résolution du théorème de Fermat-Wiles, dont l’énoncé est très simple mais dont la solution exige des centaines de pages de calculs, constitue un des problèmes les plus complexes de l’histoire de l’humanité. Or, si l’on se fie à la description que donnent certains fonctionnaires québécois du monde de l’enseignement à la compétence «Résoudre des problèmes» ou encore à la définition que ces mêmes fonctionnaires donnent de ce que doit être un problème complexe, la résolution du théorème de Fermat-Wiles, parmi tant d’autres, ne cadre ni avec la compétence «Résoudre des problèmes» ni avec ce qu’est un problème complexe.

Si un jour le MELS redéfinit la poésie de sorte que les œuvres de Musset, de Baudelaire et de Nelligan s’en trouvent exclues, ne paniquez pas, dans quelques années tout retrouvera sa place car elle est bien éphémère l’auréole de ces personnes qui veulent passer à l’histoire en reniant l’histoire et les ministères ont la très grande faculté de se comporter éventuellement, mais tardivement, comme de puissants trous noirs devant leurs erreurs.

Joyeuses Fêtes!

Robert Lyons

samedi 28 novembre 2009

Que mesurent les SAE?

Depuis plus d’un demi-siècle, de nombreuses recherches, portant sur les différences de fonctionnement entre experts et novices en résolution de problèmes, ont montré que le transfert des stratégies de résolution de problèmes d’une situation problématique à une autre est loin d’être automatique. Ces recherches montrent que même les experts se comportent en novices dans certaines conditions.

Voici quelques exemples. Dans une recherche auprès de chimistes considérés comme des experts en résolution de problèmes (Voss, Green, Post et Penner, 1983) ceux-ci devaient résoudre un problème portant sur la faiblesse de la production agricole en Union Soviétique. Dans ce problème, ces experts avaient peu de connaissances relatives au contexte du problème posé et ils ont été incapables de se comporter en experts.

Lorsqu’un problème est posé à un individu, ses connaissances du domaine dans lequel se situe le problème lui permettent, et ce, avant de tenter de résoudre le problème, de disposer d’une organisation de ses connaissances. Cette organisation facilite la récupération de ses connaissances et constitue le modèle mental dans lequel les données du problème viendront prendre place.

Une recherche de Chi et al (1982) a démontré que les fleuristes se comportent en experts en résolution de problèmes portant sur des fleurs alors que ce n’est pas le cas lorsque des experts en résolution de problèmes, peu intéressés par les fleurs ou n’ayant que peu de connaissances en ce domaine, se mesurent à des problèmes semblables.

Bref, les stratégies de résolution de problèmes ne sont transférables qu’à partir du moment où un individu, expert ou non, possède d’importantes connaissances du domaine dans lequel se situe le problème qui lui est posé. Imaginons donc une SAE portant sur le sirop d’érable. L’élève, dont les parents vivent de cette industrie, risque d’en posséder un modèle mental qui facilitera sa résolution de problèmes à ce sujet. Même s’il n’est habituellement pas reconnu expert en résolution de problèmes, il pourrait se comporter comme tel lors de la résolution des problèmes portant sur ce sujet. D’autre part, un expert en résolution de problèmes, ayant peu ou pas de connaissances au sujet des érablières, se comportera souvent en novice lorsqu’on lui adressera des problèmes portant sur le sirop d’érable. C’est ce que de nombreuses recherches, citées à la fin de cette lettre, ont découvert.

En conséquence, que mesurent les SAE? D’abord et avant tout les connaissances que possède un élève sur le sujet dans lequel se situe le problème qui lui est posé. Elles mesurent donc la culture de l’élève. C’est seulement lorsque ces éléments culturels sont en place que l’élève a la possibilité démontrer ses aptitudes en résolution de problèmes.

Au Québec, depuis la venue des examens-roman et des examens-bricolage, les écoles se sont lancées dans l’utilisation de SAE destinées, semble-t-il, à préparer les élèves à ces examens. Cette démarche est une pure perte de temps sauf si l’examen du ministère porte sur un sujet qui appartient à une classe de problèmes similaires à ceux des SAE utilisées en guise de préparation à l’examen. Encore faut-il que la SAE correspondante ait permis aux élèves d’acquérir suffisamment de connaissances et d’expérience du sujet de la SAE pour s’en construire un modèle mental solide.

En ce qui concerne les élèves, on pourra porter des jugements tels les suivants :

«Considérant que les connaissances de l’élève relatives au contexte de la situation problème, ou à des contextes similaires, ont été préalablement évaluées suffisantes, il en découle que ses aptitudes en résolutions de problème sont évaluées comme suit …»

«Considérant le fait que les connaissances de l’élève relatives au contexte de la situation problème n’ont pas été préalablement évaluées suffisantes, aucun jugement ne peut être porté sur ses capacités en résolution de problèmes.»

En conclusion, afin d’aider les élèves en résolution de problèmes, il convient d’en développer les stratégies dans des contextes diversifiés pouvant servir de modèles. Par exemple un problème touchant l’établissement d’un budget familial appartient à la même catégorie qu’un problème touchant le budget d’une école. Le contexte du ou des problèmes d’apprentissage de base devra être bien connu des élèves avant même que l’on puisse prétendre développer des stratégies de résolution de problèmes. De la même façon, les contextes utilisés afin d’évaluer les élèves devront être suffisamment similaires aux contextes d’apprentissage pour que les élèves puissent les associer comme appartenant à la même catégorie de problèmes. Faut-il ajouter que pour réussir de telles associations, les contextes des situations d’évaluation devront eux aussi être déjà bien connus ? En clair, il faut choisir des thématiques qui appartiennent au quotidien des élèves.

Parallèlement, il faut développer la culture générale des élèves afin qu’ils puissent augmenter le nombre de domaines dans lesquels ils pourront éventuellement développer et manifester leur expertise en résolution de problèmes. Mais, quelle est la partie de cette formation de l’élève qui relève de l’enseignement des mathématiques ? Et s’il y a des bases culturelles à développer lors de l’enseignement des mathématiques, ne serait-ce pas d’abord l’histoire des mathématiques, laquelle peut permettre de mieux comprendre à quoi servent les mathématiques en étudiant les domaines de l’activité humaine à l’intérieur desquels il s’est avéré nécessaire de les mettre sur pieds ?


Robert Lyons

Voici quelques recherches qui démontrent l’importance d’une excellente connaissance du contexte d’un problème au moment de tenter de le résoudre :

Snyder, Bruck and Sapin 1954 et 1962; Simon 1981; Chi et al 1982; Voss, Green, Post and Penner 1983; De Bono 1983; Beyer 1984; Pennington and Hastie 1986; Purkitt and Dyson 1988; Premkumar 1989; Palumbo 1990; Sylvan and Voss 1998; Jonassen 1997.

samedi 14 novembre 2009

Les SAE sont-elles légales ?

Le système scolaire québécois est soumis à la loi dite de l’instruction publique. C’est une vieille loi, mais de fréquents amendements permettent de la rajeunir ou, du moins, de l’ajuster à une société en évolution.

Il existe cependant un article de cette loi qui n’a subi, à ma connaissance, aucun amendement depuis au moins vingt ans. Il se lit comme suit :

230. La commission scolaire s’assure que pour l’enseignement des programmes d’études établis par le ministère, l’école ne se serve que des manuels scolaires, du matériel didactique ou des catégories de matériel didactique approuvés par le ministre.

Une remarque avant d’aller plus loin, cet article ne s’applique évidemment pas aux crayons, papiers et autres objets de même nature lesquels ne sont pas considérés comme du matériel didactique (article 7 de la même loi). Il ne s’applique pas aux exercices et examens conçus par l’enseignante pour fins d’adaptation de son enseignement. Nous y reviendrons.

Lorsqu’on mentionne l’approbation du ministre, cela se réfère à un processus très précis régi par le Bureau d’approbation du matériel didactique (BAMD). Tout le matériel didactique doit passer par ce processus et ce qui est approuvé se trouve sur les listes du ministère que l’on peut consulter sur internet à l’adresse http://www3.mels.gouv.qc.ca/bamd/menu.asp

On constatera qu’aucune SAE ne figure sur ces listes. Les SAE sont-elles illégales pour autant ? Afin de répondre à cette question mentionnons l’article 19 de la même loi.

19. Dans le cadre du projet éducatif de l’école et des dispositions de la présente loi, l’enseignant a le droit de diriger la conduite de chaque groupe d’élèves qui lui est confié.

L’enseignant a notamment le droit :

1. de prendre des modalités d’intervention pédagogique qui correspondent aux besoins et aux objectifs fixés pour chaque groupe ou pour chaque élève qui lui est confié;
2. de choisir les instruments d’évaluation des élèves qui lui sont confiés afin de mesurer et d’évaluer constamment et périodiquement les besoins et l’atteinte des objectifs par rapport à chacun des élèves qui lui sont confiés en se basant sur les progrès réalisés.


Afin d’avoir un tableau complet, ajoutons :

96.15 Sur proposition des enseignants ou, dans le cas des propositions prévues au paragraphe 5e, des membres du personnel concernés, le directeur de l’école :

4e approuve les normes et modalités d’évaluation des apprentissages de l’élève, notamment les modalités de communication ayant pour but de renseigner ses parents sur son cheminement scolaire, en tenant compte de ce qui est prévu au régime pédagogique et sous réserve des épreuves que peut imposer le ministre ou la commission scolaire.


Bref, en ce qui concerne le matériel d’enseignement, il doit figurer sur la liste du matériel approuvé par le ministère (article 230) ou provenir du choix de l’enseignant tenant compte des besoins de ses élèves (article 19). Il est donc illégal d’imposer aux enseignantes d’utiliser les SAE.

En ce qui concerne les outils d’évaluation, le ministre et la commission scolaire peuvent en imposer. Cependant, il va de soi que ces outils, tout comme les manuels scolaires, auront été validés au préalable.

La pensée sous-jacente à tous ces articles de loi est la suivante : ce qui est mis dans les mains des élèves doit être de qualité. Or il existe deux façons de s’en assurer :

- Si le matériel vient de l’extérieur, il doit avoir été approuvé par le bureau d’approbation du matériel didactique (article 230).
- Si le matériel est produit localement, par un ou des membres du personnel de la commission scolaire, la décision de l’utiliser appartient entièrement à l’enseignante (19).

Cela est normal car, en principe, ce qui est approuvé par le ministère a été validé et permet une marge de manœuvre grâce à laquelle l’enseignante peut l’adapter aux besoins de ses élèves. Cette nécessaire possibilité d’adaptation doit exister lorsque le matériel n’a pas été validé selon des normes reconnues. Dans un tel cas, le meilleur instrument d’approbation est le jugement de l’enseignante.

En ce qui concerne les instruments d’évaluation, cela revient au même, il est obligatoire d’utiliser ceux que le ministère ou la commission scolaire impose. Cependant, il va de soi que le ministère et la commission scolaire doivent avoir procédé au préalable à une sérieuse validation auprès d’un nombre suffisamment élevé et représentatif d’élèves puisque dans le cas d’une évaluation externe et officielle, l’enseignante ne peut adapter l’instrument qu’elle reçoit et l’interprétation des résultats ne donne que très peu de marge de manœuvre.

Considérant sa responsabilité, il va de soi que l’enseignante soit bien informée de ce qui a été fait pour valider ces instruments d’évaluation et ce qui en est résulté. Cela est essentiel car c’est l’opinion de l’enseignante qui sera la plus importante lorsqu’il faudra décider de la promotion de l’élève. Or, pour le faire adéquatement, elle devra connaître la valeur des données dont elle dispose.

samedi 31 octobre 2009

SA, SE et SAE

Suite au dernier Mathadore, nous avons reçu plus de rétroactions que jamais de la part de nos lecteurs. Toutes mentionnaient leur désaccord avec les SAE et se demandaient ce qu’il fallait faire pour que cesse cette folie. Nous allons donc consacrer quelques Mathadore aux SAE. Nous vous encourageons à écrire vos commentaires sur le blog afin d’engager un véritable débat à ce sujet. Cette semaine, demandons-nous si situations d’apprentissage (SA) et situations d’évaluation (SE) sont compatibles.

Il y a déjà vingt-cinq ans, lors d’une évaluation, qui s’adressait à des élèves de quatrième année (neuf ans), la question suivante fut posée :

Voici la carte d’un terrain. Le X, qui figure sur cette carte, indique l’endroit où se cache un trésor. Tu te rends à ce terrain, mais en ouvrant la carte, tu constates que le X a été effacé. Tu appelles ton ami qui a une carte semblable. Que devra-t-il te dire afin que tu puisses retrouver le trésor ?


Cette question a été posée à une centaine d’élèves qui appartenaient tous à la même classe dans une école à aires ouvertes. Lors de la correction, les enseignantes, au nombre de quatre, accordèrent tous les points à trois élèves et donnèrent un zéro à trois autres élèves qui n’avaient donné aucune réponse.

En ce qui concerne les autres élèves, si les méthodes décrites permettaient de situer le trésor, aucune n’utilisait les coordonnées cartésiennes. Or ce que nous tentions d’évaluer était la compétence à reconnaître une situation pour laquelle les coordonnées cartésiennes étaient pertinentes. Mais voilà, en mathématiques, si le raisonnement logique est roi, la créativité est reine et il est rare qu’un problème ne conduise qu’à une seule stratégie de résolution.

Ces enseignantes se trouvaient donc devant un dilemme : presque tous les élèves avaient réussi à résoudre le problème mais seulement un élève sur trente avait démontré qu’il maîtrisait ce que nous voulions évaluer.

Heureusement qu’il y avait quatre enseignantes dans cette classe. Deux d’entre elles interrogèrent individuellement chaque élève afin de vérifier si, en plus de la stratégie choisie, ils en connaissaient d’autres. Lors de ces entrevues, tous les élèves, sauf les trois qui n’avaient donné aucune réponse, démontrèrent qu’ils avaient compris que les coordonnées cartésiennes pouvaient servir, mais qu’ils avaient trouvé un autre système au moins aussi efficace. En guise d’exemples, plusieurs élèves avaient noté quelque chose de semblable à ce qui suit : Imagine que tu es devant notre classe, le trésor se trouve où est situé le pupitre de Sylvie B. Un élève a écrit : Si tu pars du coin situé en bas à droite et si tu marches vers le centre du côté du haut, le trésor se trouve au milieu de ton parcours.

En fait, ce problème constituait une excellente situation d’apprentissage (SA) mais une situation d’évaluation (SE) inadéquate. Une situation d’apprentissage doit être ouverte. Elle débute par un problème clair qui ouvre la voie à de nombreuses pistes de solution et à de nombreux apprentissages dont certains sont souvent totalement insoupçonnés au départ. Imaginer ces diverses pistes de solution, les construire et les valider permettent aux élèves de développer les habiletés de résolution de problèmes.

Pendant une situation d’apprentissage, l’enseignante peut toujours proposer d’autres pistes, les unes valables, les autres inadéquates. De cette façon, elle s’assure que les apprentissages visés soient abordés et en profite afin d’exploiter des concepts non prévus au départ. Ainsi, dans l’exemple du trésor, il s’agissait d’un problème de repérage et le système à étudier était celui des coordonnées cartésiennes. Malgré cela, la seconde solution, mentionnée plus haut, utilise un système de coordonnées dites polaires dans lesquelles on se sert d’une mesure de longueur et d’un angle. Rien n’empêche de profiter d’un tel problème afin de bifurquer vers l’étude de la mesure d’angles, ce qui serait fort pertinent dans une SA mais nullement pertinent dans une SE visant à évaluer la maîtrise des coordonnées cartésiennes.

On nous objectera peut-être que les visées d’une SE peuvent être élargies à la compétence à se repérer plutôt que restreintes à la compétence à se repérer avec un système cartésien. Malheureusement, certaines situations exigent la maîtrise du repérage cartésien, par exemple un parcours dans une ville, alors que d’autres exigent celle du repérage polaire, par exemple un trajet en forêt avec une boussole. Au moment de l’évaluation, il y a lieu de s’assurer que tel ou tel système ou encore que les deux systèmes sont maîtrisés. Cela ne peut être réalisé que si les problèmes sont suffisamment contraignants pour que l’élève manifeste qu’il maîtrise exactement ce qui doit être évalué.

Une situation d’apprentissage peut toujours être ajustée, précisée, réorientée. Ce n’est pas le cas d’une situation d’évaluation qui doit être suffisamment précise pour qu’elle puisse évaluer ce qui est visé. Finalement, SA et SE ressemblent à deux entonnoirs. Dans le cas d’une SA, on entre par le petit orifice et on espère que l’orifice de sortie soit le plus large possible. Dans le cas d’une SE, on entre par le grand orifice et on espère que l’élève trouve la sortie.

Faut-il ajouter qu’une SA vise à développer des apprentissages en laissant une large place aux interventions de l’enseignante et aux discussions entre élèves alors qu’une SE de qualité doit réduire au maximum les interventions de l’enseignante et celles des pairs ? Doit-on rappeler que le programme prescrit une approche constructiviste donc des activités grâce auxquelles les élèves construisent eux-mêmes leurs apprentissages ? Est-ce ce qui est visé lors d’une évaluation ? L’évaluation n’a-t-elle pas pour but de mesurer ce que l’élève a déjà construit ?

Bref, la rédaction des SAE est une entreprise dans laquelle on retrouve des stratégies d’enseignement et des objectifs complémentaires mais incompatibles dans une même activité. Cela relève d’une incompréhension majeure de ce qu’est l’apprentissage ou de ce qu’est l’évaluation ou des deux à la fois.

Robert Lyons