dimanche 7 mars 2010

Nouveau bulletin au Québec

La semaine dernière, les médias en ont fait leur première page, le ministère imposera un bulletin national simplifié pour la rentrée. Cela signifie-t-il la fin de la Réforme entreprise il y a dix ans ? Est-ce un retour en arrière, recours ultime des politiciens en mal de tranquillité ?

Le bulletin sera simplifié sous prétexte que les parents ne le comprennent pas, que la terminologie qu’il utilise n’est pas claire. Avouons franchement que personne ne s’y retrouve dans cette terminologie. Depuis dix ans, nous avons été témoin de multiples interprétations de telle et telle compétence. La dernière trouvaille étant que la compétence «Résoudre des problèmes» s’applique aux problèmes difficiles et que la compétence «Raisonner» vise les problèmes faciles. On touche le fond du puits du ridicule.

Est-ce exagéré de penser que personne ne comprend la terminologie de la Réforme ? Imaginons un instant que les personnes qui supportent cette Réforme, et qui en sont en même temps les responsables au ministère, comprennent cette terminologie. Si c’est le cas, compte-tenu de leurs fonctions et des outils modernes de communication, les dix années écoulées depuis le lancement de la Réforme étaient largement suffisantes afin de clarifier au moins les énoncés les plus utilisés. Or, la confusion n’a fait que grandir. Alors, de deux choses l’une, ou ces responsables n’y comprennent rien ou ils sont incompétents, n’étant pas capables de livrer correctement le message en dehors de leur bureau situé sur un étage plus proche des nuages que du plancher des vaches.

Passons au bulletin simplifié, plusieurs parlant même d’un bulletin simpliste, d’un grand pas en arrière. Ils ont raison ! Un pourcentage afin de résumer la qualité et la quantité des apprentissages en mathématiques, c’est aussi valable que de mesurer les valeurs humaines d’un individu à partir seulement de ses revenus. Malheureusement, ce bulletin simpliste et, espérons-le, temporaire, est devenu nécessaire avec la place exorbitante prise par l’évaluation depuis dix ans.

L’évaluation est devenue la préoccupation la plus importante dans les commissions scolaires et dans les écoles. Parfois, elle est utilisée comme outil de chantage par de misérables Tontons macoutes afin d’obliger des enseignantes à se plier à leurs dictats dont la valeur éducative reste à démontrer. De sorte que si le bulletin simpliste peut servir à remettre à sa place l’évaluation afin que l’apprentissage devienne la préoccupation première non seulement des enseignantes, mais aussi des parents, des directions d’écoles, des cadres des commissions scolaires et du ministère, ce nouveau bulletin ne sera pas un retour en arrière, mais un pas en avant vers l’an 2000 puisque, depuis cette année 2000, les stratégies et les outils d’enseignement n’ont fait que se détériorer.

Ainsi, ne réalisant pas que les mathématiques que les élèves peuvent redécouvrir ou réinventer ne s’enseignent pas de la même façon que le français qui résulte de nombreuses règles arbitraires, les commissions scolaires ont remplacé les conseillers de matière par des «professionnels en pédagogie». Ce faisant, ils ont confondu la pédagogie et la didactique. La pédagogie s’occupe des relations maître-élèves, des relations entre les élèves, de la discipline, de la motivation, du souci de travailler avec soin, … (De transversalité peut-être ?). Par ailleurs, en complémentarité, la didactique s’intéresse aux stratégies propres à l’apprentissage efficace d’une matière précise en considérant, par exemple, la place plus importante de la mémoire dans telle matière et du raisonnement dans telle autre matière.

En remplaçant les conseillers de matière par des «professionnels en pédagogie», et ce, indépendamment de la valeur et de la volonté de ces professionnels, les commissions scolaires ont démontré qu’elles ignoraient les didactiques au profit d’un enseignement dont les stratégies constitueraient un inefficace dénominateur commun pour toutes les matières.

En fait, la Réforme ouvrait la voie à une amélioration de l’enseignement, mais elle a été un instrument dont ont bénéficié ceux qui se sont avérés les plus forts au jeu du «Pousses-toi que je m’y mette.»

Un bulletin simpliste et national est peut-être un premier pas vers la mise-de-côté de tout ce qui a fait reculer l’enseignement et l’apprentissage depuis dix ans. Un premier pas vers un regard neuf sur une Réforme, dont les éléments valables ont été occultés par l’utilisation d’un langage hermétique qui ne cachait en fait que la grande confusion de ceux qui l’utilisaient et par la place exagérée prise par l’évaluation.

À vous !

Robert Lyons

1 commentaire:

Mario Renauld a dit…

M. Lyons,

Je ne peux m'empêcher de réagir à votre billet. Je vous connais de réputation et je sais que celle-ci est grande. Certains vous vénèrent et pour cette raison je suis particulièrement intimidé en me permettant moi, un simple cp généraliste, de poser quelques questions et d'apporter quelques réflexions à quelqu'un qui à plus de 40 années de recherches en enseignement des maths.
Ma première question est: a-t-on vraiment besoin d'un autre héros, d'un autre qui sait?
Vous savez, le premier problème, sur le terrain, est d'arriver à intégrer dans nos pratiques, le savoir que vous avez tous là-haut. Le second problème, non le moindre, tient au fait que les dieux ne s'entendent pas...et, pendant ce temps, sur la terre les humains s'entredéchirent.
Nous n'avons pas besoin d'un autre héros, nous avons besoin d'enseignants qui réfléchissent par eux-mêmes et cessent d'espérer le messie. Lorsque j'entends quelqu’un dire : « Lyons a dit ! » Je me dis, Bon! La discussion est terminée. Vous dites que la Réforme a été un instrument qui a bénéficié aux plus forts au jeu du «Pousse-toi que je m'y mette». C’est le propre de ceux qui possèdent la vérité : Ou bien ils gagnent, ou bien ils perdent. Sur le terrain M. Lyons ça évolue, c’est quelque part entre le faux et le vrai. C’est d’ailleurs la façon dont je comprends le rôle des cp dans les écoles, des gens qui accompagnent le changement, qui prennent avec des enseignants une posture réflexive…des gens qui n’ont certes pas la vérité mais qui favorise la réflexion. Lorsqu’on se pose en experts M. Lyons, les gens se taisent et appliquent bêtement des recettes qu’ils ne comprennent pas nécessairement…ils deviennent des techniciens de l’éducation. Est-ce votre définition de l’enseignant ? Si vos idées sont justes, et je suis sûr qu’elles le sont, alors sur le terrain nous y arriveront…avec le temps. Mieux vaut une vérité éprouvée par le temps…elle est toujours la preuve de l’intelligence qui se déploie plutôt qu’une qu’on impose. N’est-ce pas au fond ce que vous dites ? En attendant peut-on poursuivre nos réflexions sans avoir constamment l’impression de faire fausses routes ? Peut-on réfléchir sans la crainte d’une fin du monde ?

Dans un autre ordre d’idée vous dites que l’évaluation depuis 10 ans est devenue une obsession. Je ne partage pas votre constat. Au contraire je dirais que la question est arrivée beaucoup trop tard. Je me rappelle de formations pré-réforme où l’on demandait : mais comment nom de Dieu allons-nous pouvoir évaluer ça une compétence ? La réponse était invariablement : ça va venir, les outils vont sortir. Par contre je suis d’accord avec vous, l’évaluation prend une place beaucoup trop importante en éducation…mais ça c’était avant même la réforme M. Lyons. Dans le programme par objectifs nous devions évaluer sans cesse pour chaque foutu objectif intermédiaire. Ce que j’ai compris de la Réforme c’est une volonté de recadrer l’évaluation dans sa fonction de régulation plutôt que de sanction.

Enfin, « Est-ce exagéré de penser que personne ne comprend la terminologie de la Réforme ? » demandez-vous ? En fait, je connais autant de personnes qui ne comprennent pas la réforme qu’il y en a qui ne comprennent pas la « méthode des frères Lyons ». Et puis, qu’est-ce que ça veut dire ? De votre côté vous tirez des conclusions incendiaires…il manque un peu de rigueur dans votre explication des difficultés de la Réforme.

Mario Renauld
renauld.m@csdm.qc.ca