Afin de comprendre le rôle d’un concept ou d’un quelconque élément d’apprentissage, il faut forcément qu’il soit situé dans un contexte pertinent. Ce contexte sera nécessairement plus large que le concept étudié, donc plus complexe.
Il me semble qu’il y a au moins deux avantages à plonger, au départ, l’élève dans un contexte complexe et ce, indépendamment du fonctionnement du cerveau tel que présenté la semaine dernière.
D’abord lorsque le contexte est pertinent, l’élève peut percevoir l’utilité du concept qu’il tente de développer. De cette perception découle la motivation. En fait, on peut difficilement être motivé à apprendre ou à faire quelque chose dont l’utilité nous est inconnue.
Par ailleurs, le contexte sert d’encadrement à tout le processus de résolution de problèmes et permet souvent à l’élève de cheminer avec très peu d’aide dans l’élaboration et la validation de sa démarche.
En lisant vos réflexions sur le blogue, je me suis rappelé du cheminement de ma fille lorsque je lui ai enseigné à lire. Elle n’avait que dix mois lorsque je lui ai montré une affiche où figurait le mot « maman » et une autre où on pouvait lire « papa ». En peu de temps, elle distinguait ces mots sans erreurs. Ensuite j’ai ajouté son prénom, celui de son petit voisin et diverses parties du corps. Chaque mot figurait alors sur une petite fiche de 8 cm sur 13 cm.
Elle avait dix-huit mois lorsque survint la première neige du nouvel hiver. Comme tous les enfants, elle était fascinée. Je lui ai demandé si elle voulait que j’écrive le mot « neige » ? Elle m’a regardé en disant « neige ? » et son étonnement était important. Elle a regardé longuement ce mot. En détournant son regard, celui-ci est tombé sur une chaise. Elle m’a regardé en disant « chaise ? » J’ai écrit ce mot. Elle venait de comprendre qu’il était possible d’écrire des mots qui désignaient autre chose que des personnes ou des parties du corps. Tous les mots appris à ce moment faisaient partie de ces catégories de mots. Quelques jours plus tard, elle me dit « la chaise ? » Visiblement elle venait de comprendre que l’on pouvait écrire tout ce que l’on disait.
J’ai aussi observé avec elle et, avec sa fille, que je soumets au même régime, que toutes deux sont passées rapidement à l’observation des lettres. Ainsi, elles ont dit « C’est la lettre de maman » pour le m. Par la suite, en voyant cette lettre dans un mot quelconque, elles s’exclamaient « Maman ! ». Mais elles ont vite changé pour « C’est la lettre à maman ! »
Ma petite-fille aime bien, malgré ses deux ans et sept mois, dire qu’elle est grande et faire comme les grands. Souvent, lorsque je travaille à l’ordinateur, elle se glisse sur mes genoux et me dit « Quelle lettre ? » Il y a quelques semaines, comme elle voulait m’imiter, j’ai eu l’idée de lui tenir un doigt de chaque main et de lui faire taper mon texte. Depuis ce temps, cela semble être devenu un de ses jeux préférés. Mais, elle est du genre « Je suis capable TOUTE seule » et, depuis deux jours, elle ne veut plus que je lui tienne les doigts. Elle me demande « Quelle lettre ? » Je lui réponds : « Le A de Aube-Marie », c’est son nom, « le R de Robert », « le D de Dany ». Nous avons eu un court problème avec le A, lorsqu’elle en a trouvé quatre sur le clavier.
Hum ! Je voulais écrire sur quelque chose de complètement différent au début de cette lettre. Je me suis égaré. Tant pis ! Les conclusions que je tire de ces expériences en lecture, bon, c’est reparti, c’est que les enfants sont facilement motivés à apprendre la lecture lorsque les premiers caractères écrits sur lesquels on attire leur attention sont associables à des choses ou à des personnes qu’ils connaissent. Cependant, ils remarquent davantage la première lettre du mot, parfois la dernière, et n’observent les autres lettres que lorsqu’ils sont confrontés à des mots qui se ressemblent tels pomme, porte, poire.
D’ailleurs, j’ai remarqué que ma fille et ma petite-fille se sont intéressées beaucoup plus tard à lire les chiffres. Même s’ils ont appris tôt des comptines avec des nombres, il semble que les noms des nombres sont beaucoup moins porteurs de sens, avant trois ou quatre ans, que des mots tels maman, pied, orange, crayon.
Alors, est-ce possible de motiver un enfant à apprendre sans un contexte plus complexe que le simple concept que nous voulons développer ? Un enfant n’a-t-il pas davantage l’occasion de développer sa pensée et ses stratégies d’apprentissage lorsqu’il est plongé dans un contexte qu’il comprend et qui lui pose un problème qu’il ressent ? Chaque pas vers une solution n’est-il pas guidé et encadré par ce contexte ? Et, en mathématiques, ne devons-nous pas choisir comme contexte de départ ce qui a guidé nos ancêtres à élaborer les concepts et outils des mathématiques ? Allons plus loin, les programmes de mathématiques, même ceux qui s’adressent aux plus jeunes de nos élèves, ne devraient-ils pas faire une place importante à l’histoire des mathématiques ?
À vous maintenant.
Et, un gros merci aux auteurs de chacun des commentaires émis jusqu’à présent.
Robert Lyons
dimanche 30 novembre 2008
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5 commentaires:
Le premier de cette série d’articles portait sur l’enseignement du général au particulier, le deuxième sur l’apprentissage qui simplifie le complexe et ce troisième demande, sans trop avoir développé l’idée, si l’histoire des maths devrait orienter nos choix didactiques. Tout cela m’amène à résumer ce qui dessine en proposant un programme qui permettrait à l’enfant d’apprendre de façon naturelle. Il me semble que le principal problème de l’enseignement scolaire, et des maths en particulier, est qu’il soit un enseignement souvent forcé et artificiel. Un enseignement qui laisse trop peu de place à l’élève.
Ne serait-il pas tellement plus profitable que l’école permette aux enfants de construire leur propre réseau de concepts à partir d’activités porteuses de sens. Les enfants aiment jouer, ils aiment être dans la nature, ils sont spontanés, curieux et, à leur entrée à l’école, avide d’apprendre. Proposons-leur donc des mathématiques auxquelles ils s’intéresseront naturellement et pour ce faire quoi de mieux que de nous inspirer de ce qui a captivé les premiers humains dans leur quête de nouvelles méthodes de dénombrement et de calcul ? Quoi de mieux que de choisir des activités ayant un côté ludique ? Quoi de mieux que de faire vivre aux enfants des situations d’apprentissage authentiques d’où les maths émergeront naturellement ?
petite coquille dans la 2e phrase : ce qui se dessine.
Je viens de recevoir un courriel où j'ai trouvé l'article suivant:
http://www.sciencedaily.com/releases/2008/12/081201105702.htm
Qu'en pensez-vous?
Beaucoup plus facile d'aider un élève à apprendre à du un - un, ce qui est très loin du vécu régulier des classes québécoises (quoique le parti libéral a fait de belles promesses).
De mon côté, je ne trouve pas très difficile de faire apprendre à lire, à écrire, à résoudre des problèmes, à compter à un enfant, mais c'est lorsque l'ensemble des élèves d'une classe veut apprendre, mais se trouve à des niveaux de compréhension et d'habileté très variés que le problème se pose. À du un-un, facile de solutionner, de proposer un problème qui amène à réfléchir, à résoudre. Mais face à 27-28 petits mousses qui désirent tous apprendre, mais qui ne se situent pas au même niveau de compétence, c'est une autre paire de manches.
Je reviens encore sur le principe d'amener les élèves à comprendre les maths comme leurs ancêtres l'ont fait. Mais encore là, plusieurs élèves sont très en avance parce que leurs parents leur ont montré plein de trucs et stratégies, d'autres n'ont pas les connaissances antérieures minimales pour comprendre, etc. Que d'écart, mais c'est la réalité.
Il est bien vrai, comme l'écrit Chabotf, que l'enseignement individuel permet d'obtenir, en certains domaines, de meilleurs résultats que l'enseignement collectif à la condition cependant que l'enseignant soit à l'écoute de l'élève et suive bien la pensée de l'élève. En collectif, même avec de très petits groupes, cela devient presqu'impossible car nous ne pensons plus comme des enfants et il nous est très difficile de bien comprendre la pensée d'un enfant même lors d'une entrevue individuelle.
Par contre, l'enseignement individuel comporte un énorme risque, un développement faible de l'autonomie. Or, l'enfant peu autonome, celui qui est victime de surprotection ou d'hyper encadrement, développera très souvent moins ses facultés analogiques, soit celles qui interviennent au début de la résolution de problèmes, celles qui permettent de comprendre un texte, de manifester un certain degré d'imagination, d'humour, d'éviter la naïveté, de faire des synthèses, de porter des jugements éclairés. À mon avis, l'enseignement individuel est avantageux pour tous les apprentissages de type logique et de type technique, mais pour ce qui est analogique, c'est-à-dire pour les apprentisages les plus importants, il y a un risque énorme.
Par ailleurs, en classe, lorsque nous abordons un sujet quelconque, si celui-ci est évident, par exemple les coordonnées cartésiennes, la numération, ... dès que les élèves reconnaissent le sujet abordé, il se crée des écarts résultant de l'inégalité des connaissances antérieures de chaque élève.
Afin de diminuer ces écarts, le truc que j'utilise consiste à «jouer à la cachette». Il s'agit de plonger les élèves dans une situation problème dont l'objet mathématique est bien caché. Par exemple, au lieu de parler de coordonnées cartésiennes, on enseignera le Battleship ou Combat naval. Au lieu de parler de la loi des signes en multiplication, on laissera les élèves jouer avec des aimants ou avec un système de commutateurs qui permet, à partir de deux endroits différents, de contrôler une ampoule électrique.
Il n'y a pas de doute que cela ne réussit qu'à réduire une partie des écarts, ceux causés par la différence de connaissances mathématiques. Cette différence est cependant importante.
Il existe aussi de grandes différences résultant de la perception que les élèves ont de leurs aptitudes en maths. Ici aussi, il faut jouer à la cachette : aujourd'hui, nous ne ferons pas de mathématiques, mais nous allons dessiner le plan d'une ville où ...
Tout cela pour dire que l'enseignement est à la fois un art et une science extrêmement exigeant et dont les praticiens méritent autant de respect que les médecins, ingénieurs ou tout autre professionnel que, avec ou sans raison, notre société place sur un piédestal.
Robert Lyons
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