samedi 15 novembre 2008

Mathadore (Numéro 292)
La séquence : premier questionnement


La rédaction d’un programme exige toujours que l’on établisse une séquence d’apprentissages. Or cette séquence peut dépendre de diverses perceptions ou conceptions. Une des premières consiste à établir si l’apprentissage doit être réalisé; du particulier au général ou inversement, du général au particulier. Attention de ne pas confondre particulier et général avec simple et complexe sur lesquels nous reviendrons la semaine prochaine.

Entendons-nous donc sur ce qui suit afin de pouvoir en discuter : L’ours, le tigre sont des cas particuliers alors que l’animal est le cas général.

Il me semble évident que c’est au travers de l’observation de cas particuliers, une rose, une tulipe, un œillet, que nous réussissons à déterminer le cas général, la fleur. Lorsqu’il apprend à parler, le jeune enfant remarque rapidement les mots et les classe en tentant de déterminer une espèce de schéma général qui lui indique, par exemple, la position des mots dans une phrase ou la position d’un type de mots par rapport aux mots d’un autre type. Ainsi, les enfants observent qu’un article n’est pas suivi d’un verbe sans, évidemment, pouvoir dire que le mot « un » est un article ou que le mot « finir » est un verbe.

Suite à l’observation de nombreuses phrases, les enfants construisent une sorte de cadre général dans lequel ils peuvent positionner les mots d’une phrase. Ce cadre sera amélioré et rendu plus complexe avec l’âge, mais il ne sera jamais nécessaire de le remettre totalement en question. Ainsi, le jeune enfant remarque tôt que lorsque deux verbes se suivent, le second est à l’infinitif. Il remarque aussitôt qu’à l’infinitif, les verbes se terminent généralement par « er » et « ir ». Cela le pousse à dire : « Il va pleuer ! » ou « Il va pleuir !» au lieu de « Il va pleuvoir ! ». L’ajustement peut prendre plusieurs mois, souvent plusieurs années. J’entendais récemment un adulte dire « Ils jousent. » au lieu de « Ils jouent. » Mais il s’agit d’ajustements mineurs qui placent rarement, sinon jamais, une personne dans une situation où elle remet en doute sa compréhension de base.

Bref, l’apprentissage d’une langue, d’une science, d’un sport, progressent plutôt bien du particulier au général puisque les premiers apprentissages en ces domaines sont suffisamment adéquats pour ne devoir subir plus tard que des ajustements mineurs ne contredisant pas la majeure partie de la structure générale qui a été érigée au départ.

Qu’en est-il en mathématiques ? D’abord, l’enfant apprend à compter. Il s’agit alors davantage d’une comptine que d’un réel dénombrement. Ce sont des mots que l’on tente de réciter dans un certain ordre lorsqu’on entend la question « Combien… ? » Éventuellement l’ordre correct sera appris, ceci n’est qu’un ajustement. Un premier changement d’importance sera de comprendre que chaque mot doit être associé à un élément et à un seul élément d’un ensemble. Il faudra comprendre, un peu plus tard que le dernier mot dit indique le nombre d’éléments de l’ensemble. Il faudra aussi comprendre que l’ordre dans lequel les objets ont été dénombrés n’a aucune importance sur la quantité totale. Mais, parallèlement, il faudra apprendre que le nombre peut indiquer un rang et, cette fois, l’ordre des éléments doit être respecté et maintenu. C’est une nuance importante.

Ces premiers apprentissages touchent ce que nous appelons les quantités discrètes, soit les quantités dénombrables au moyen des nombres entiers seulement : une balle, deux balles, … Donc un univers dans lequel, après un, c’est deux et après deux, c’est trois.

Et puis, un jour, après un, ce n’est plus deux, mais un et une demie ou peut-être un et un quart, à moins que ce soit un et un dixième. Et ce qui était perçu comme un vide, soit l’inexistence de quelque chose entre un et deux, devient un univers contenant une infinité d’éléments. Ce n’est pas un ajustement, c’est un bouleversement.

Plus tard apparaîtront les nombres négatifs, lesquels sont souvent mal compris par de nombreux adultes : « Moins que zéro, c’est rien ! » Il faut vivre au Québec pour comprendre que « moins trente degrés Celsius » ce n’est pas rien, mais « toute une histoire » comme dit ma petite-fille.

Et un jour le nombre devient irrationnel quelque chose qui ne désigne ni un rang, ni une quantité d’objet, ni une position précise sur un axe, mais une position indéterminable entre deux points précis.

Finalement, le nombre imaginaire apparaît à l’intérieur de nombres que l’on dit complexes. Si la somme de deux nombres est 10 et leur produit est 21 alors ces deux nombres sont 3 et 7, des connaissances de longue date. Mais si la somme de deux nombres est 10 et que leur produit est 26 alors nous nous retrouvons avec deux nombres complexes, les nombres 5 + i et 5 – i.

À travers tout cela, qu’est-ce qu’un nombre ? Est-il possible de construire le concept de nombre en passant du particulier au général ? Les premières constructions que nous élaborons du concept de nombre nous aident-elles à comprendre la suite ? Peut-on travailler différemment ?

Voilà chers lecteurs de Mathadore, la première réflexion que je vous propose dans le but de relever notre grand défi : élaborer un programme de mathématiques pour les besoins du 21e siècle.

J’espère que vous serez nombreux à réagir plus bas.
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Je profite de l’occasion afin de vous remercier des nombreux courriels d’encouragements que vous m’avez expédiés au sujet de ce grand défi. N’oubliez pas que les discussions qui se tiendront sur ce blogue seront des plus enrichissantes si elles proviennent de personnes qui bénéficient de formations différentes, de cultures différentes, qui pratiquent diverses professions et qui ont à cœur de voir l’enseignement des mathématiques s’améliorer.

Robert Lyons

1 commentaire:

Gilles a dit…

L’invitation à peine voilée de Robert à une séquence d’apprentissage allant du général au particulier pour les maths a beaucoup de sens en autant que les enfants vont s’y retrouver. Pour reprendre l’exemple des fleurs, il serait bien possible pour quelqu’un qui n’a jamais vu de fleurs de développer l’idée de fleur sans passer par les cas particuliers, c’est-à-dire en étant exposé à une ou plusieurs représentations imagées illustrant les principales caractéristiques des fleurs, pour ensuite découvrir, à partir du modèle général, les différents types de fleurs en existence. Cela n’est évidemment pas pertinent puisque les expériences de la vie amènent la plupart des jeunes enfants à être en contact avec des fleurs de façon naturelle et le concept se construit sans trop d’efforts, en passant du particulier au général. De plus, les fleurs sont attirantes et cela facilite ce type d’apprentissage.

Mais que faire pour les apprentissages qui ne sont pas naturellement ou explicitement présents ou attrayants dans l’entourage de l’enfant ? Y a-t-il lieu de prévoir un développement qui ciblerait d’emblée une compréhension générale ? Cela aurait certes l’avantage de faciliter ensuite le développement de toutes les notions qui peuvent y être associées. Imaginons ainsi un enfant de six ans qui « s’amuserait » à faire de l’algèbre ou de la géométrie analytique à l’aide d’un petit jeu simple pour découvrir les fondements généraux des mathématiques… pour ensuite discerner, par l’entremise de diverses activités et expériences de la vie, les différents types de nombres, leurs caractéristiques et les opérations particulières qui s’y rattachent!

Cette perspective est certes des plus intéressantes, pour les maths bien sûr, mais peut-être aussi pour d’autres disciplines. Voyons donc si dans un premier temps nous pouvons établir théoriquement en quoi consisterait cet apprentissage général pour ensuite l’expérimenter et le valider auprès d’élèves, puis, si cela fonctionne… répandre la bonne nouvelle.