Depuis plus de trente années, Sa Majesté l’enseignement du français essaie, et réussit très souvent, à imposer à l’enseignement des autres matières une espèce de servitude qui témoigne du piètre rendement de l’enseignement de la langue.
En fait, à cinq ans, lorsque l’enfant arrive à l’école, il possède déjà une quantité considérable d’acquis en français. Rien de comparable n’est acquis en mathématiques. Pensons-y, l’enfant de cinq ans croit habituellement qu’en étirant une ligne de jetons, il en aura davantage. S’il a deux carrés identiques et qu’il les dispose de sorte qu’un carré recouvre l’autre partiellement, il croit que désormais «le carré qui est situé en dessous est le plus grand parce qu’il dépasse». Lorsqu’il dénombre des objets, il en omet quelques-uns, en compte d’autres deux fois. Bref, en mathématiques ses apprentissages sont rudimentaires, sauf sa capacité à résoudre des problèmes, laquelle est apparue longtemps avant qu’il puisse se débrouiller en français.
Par ailleurs, avant l’âge scolaire, l’enfant possède déjà un vocabulaire de plusieurs centaines de mots. Sans être capable de dire lesquels sont des verbes ou des noms, il les situe correctement dans ses phrases. Il utilise des synonymes pour s’expliquer, il comprend le sens de plusieurs métaphores telle la tête de l’arbre, les pieds de la clôture. Il conjugue assez facilement plusieurs verbes à divers temps et ses erreurs manifestent qu’il a compris les règles de base de la conjugaison. Bref, il maîtrise suffisamment la langue orale pour tenir une conversation intéressante et claire avec un adulte.
Malgré cet avantage certain, Sa Majesté impose ses dictats à l’enseignement des autres matières. Ainsi, nous vivons actuellement sous le joug des SAE (Situations d’apprentissage exagérées… pardon, situations d’apprentissage et d’évaluation). Le Ministère (MELS) mentionne que la SAE permet à l’élève de développer et d’exercer une ou plusieurs compétences disciplinaires et transversales. En fait il faudrait plutôt écrire «permet de développer au moins les compétences de l’élève en français.»
Évidemment Sa Majesté est sans pitié pour les élèves qui, dans le contexte des SAE, à cause de leurs faiblesses ou de leur manque d’intérêt linguistique, ont peu de chances de développer et de démontrer leurs compétences en mathématiques. D’ailleurs, dans les SAE, il faut d’abord et surtout se débarrasser d’une carcasse, aussi épaisse qu’inutile, qui permet rarement de présenter une situation mathématique pertinente susceptible d’amener l’élève à inventer ou même à développer un concept mathématique.
Sa Majesté est, par ailleurs, sans pitié pour les étudiants qui, malgré des notes acceptables dans d’autres matières, voient jusqu’à un maximum de vingt pourcent (20%) des points d’un examen de géométrie par exemple, être soustraits à cause de fautes d’orthographe. Et qu’advient-il si cela réduit un acceptable soixante-quinze pourcent à cinquante-cinq pourcent ? L’élève doit reprendre son cours de… géométrie et non un cours de français qui, en principe, devrait l’aider davantage grâce aux compétences de Sa Majesté. Et bien non, c’est sur l’enseignement des autres matières que l’on compte pour corriger les lacunes linguistiques de cet étudiant. On dirait vraiment que Sa Majesté ne croit plus en ses talents.
Voici deux élèves qui ont obtenu soixante-quinze et soixante-cinq pourcent en sciences. Le premier n’ayant perdu aucun point en français mérite réellement sa note. Le second a obtenu quatre-vingt-cinq pourcent en sciences mais, après avoir perdu vingt points en français, il obtient une note finale et officielle de soixante-cinq pourcent en sciences. Cette évaluation ne rend nullement justice à cet élève car, malgré ce qu’elle affiche, soit une évaluation en sciences, elle ne montre pas la valeur de cet élève en sciences. À quand le recours collectif qui pourrait corriger cette fausse représentation ?
Évidemment, il ne faut pas oublier la célèbre légende selon laquelle les difficultés en résolution de problèmes résultent de difficultés en compréhension de textes. Il y a plus de trente années que nous avons démontré la fausseté de cette croyance mais Sa Majesté ne se trouble pas par des recherches qui malmènent ses dogmes de foi.
En mathématiques, on considère qu’une grande partie de la difficulté consiste à comprendre le problème. On considère aussi que la communication de la solution présente souvent des difficultés. Pour ces raisons, les mathématiciens tentent toujours de réduire les énoncés mathématiques à un minimum de symboles et de termes afin de faciliter la compréhension du problème et afin de pouvoir se concentrer sur ce qui présente le plus grand défi, imaginer et construire des solutions.
Voici l’énoncé du problème qui a tenu en échec pendant plus de trois siècles les plus grands esprits de tous les peuples. Alors qu’il est possible que la somme de deux nombres carrés soit égale à un carré (x² +y² = z²) cela n’est pas possible pour des cubes (x³ + y³ = z³ et pour des entiers élevés à une autre puissance entière). Le travail en compréhension de textes est ici fort réduit et il n’est d’aucune aide pour l’étape suivante qui tient davantage de la créativité et de la logique que de toute compétence linguistique. Comment les SAE aident-elles à développer un minimum d’aisance dans cette seconde étape ? En fait, les SAE augmentent inutilement les difficultés lors de la première partie de la résolution d’un problème et sont parfaitement inutiles dans la seconde partie. Conséquemment, puisqu’il faut espérer qu’elles soient utiles au moins en français, Sa Majesté devrait accepter de céder une partie du temps dévolu à l’enseignement du français aux autres matières pour que nous puissions faire son travail et … le nôtre.
Robert Lyons
samedi 17 octobre 2009
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3 commentaires:
À l'ère des intelligences multiples (H. Garner), je crois moi aussi qu'évaluer le français dans les disciplines qui stimulent différentes formes d'intelligences (autre que linguistique), peut contraindre l'apprenant à se surpasser dans les intérêts intellectuelles qui le stimulent.
Je me suis possiblement mal exprimé. Je crois qu'un enseignant doit collaborer à l'apprentissage du français, même s'il ne l'enseigne pas. Et je crois aussi que l'enseignant de français doit se soucier de la qualité des apprentissages des autres matières même lorsqu'il enseigne le français.
Je crois aussi que la qualité du français doit être évaluée dans chaque matière mais que cette évaluation doit être considérée dans la note de français et non en sciences, en maths, ...
C'est une question de justice pour l'élève, l'évaluation a un rôle de sanction certes, mais son rôle principal est d'aider les élèves. Pour cette raison, elle doit être fiable. Si un élève affiche un échec en maths à cause de la faible qualité de sa langue écrite, c'est un cours de français qu'il doit suivre et non un cours de maths. Ce qui précède n'est pas une hypothèse sans fondement puisque une de mes étudiantes universitaires a dû reprendre inutilement avec moi un cours de géométrie parce que l'enseignante qui lui avait donné ce cours lui avait enlevé 20% de ses points tel que cela se pratique dans plusieurs universités.
Bref, je suis d'accord pour tenir compte du français lorsque je donne un cours de maths, mais si des points doivent être enlevés à cause du français, qu'ils paraissent dans la note attribuée en français.
Je n'ai jamais accroché à ces SAE pour plusieurs raisons. La première, vous l'expliquez bien dans votre billet. Les mathématiques ne sont qu'un élément secondaire dans les SAE. La mise en situation est tellement longue que l'enfant s'y perd en compréhension. On dirait une tâche en lecture.
La deuxième, c'est lorsque nos conseillers pédagogiques ont commencé à nous vanter les mérites des SAE. Ils disaient que les élèves n'avaient qu'en faire une par étape et ce serait suffisant. Incroyable discours. Réaliser deux ou trois fois une tâche et le tour est joué alors que l'on sait bien qu'un apprentissage exige temps et énergie.
Troisièmement, alors que plusieurs enfants réussissent à trouver l'âge du capitaine d'un bateau comptant 12 vaches, 10 canards, 8 chiens et 6 poules, comment voulez-vous leur faire apprendre lors de SAE ?
Pour ma part, je fais travailler la résolution de problèmes sous forme de jeux ludiques (que j'appelle super agent secret). Les enfants travaillent en équipe de 2 et doivent résoudre différents problèmes en faisant preuve d'imagination, de créativité et en utilisant leurs notions mathématiques apprises. Le but du jeu est de devenir super agent, mais avant ils doivent franchir différents grades (policier-détective, enquêteur, inspecteur). Chaque grade propose des problèmes qui j'ai pris à différents endroits (mathémathlon, apame, sites internet, mes propres créations, les idées des frères Lyon, etc). Les énoncés des problèmes sont simples. Le but, développer la logique et la compréhension mathématiques.
Les enfants ont hâte que le moment des super agents arrivent.
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